13 JANV.
2023

Jean de La Fontaine est-il né dans un chou ? ou les choux au XVIIe siècle

Le chou est un aliment très ancien, il remonte à nos ancêtres des cavernes qui déjà le consommaient sous sa forme sauvage. Il fut certainement un des premiers légumes à être cultivé il y a sept mille ans.

Pendant longtemps, les légumes ne font pas partie des tables bien fournies, on préfère manger du gibier et toutes sortes de viandes en sauce. On les laisse donc aux basses couches de la population. Au XVIIe, les voilà à la mode mais comme la société d'alors, ils sont très hiérarchisés : les légumes comme les bulbes d'oignons et d’échalotes sont méprisés car ils poussent dans la terre, c'est répugnant, on les laisse aux manants. Les racines comme les carottes, navets, poireaux sont un peu mieux acceptés mais jugés vulgaires. Les légumes qui poussent à ras du sol comme les salades, les épinards sont sur les tables des riches. Louis XIV ne faisait pas un repas sans salade. Le chou jugé peu digeste constituera la nourriture ordinaire du peuple qui on le sait, est moins sujet aux embarras gastriques. Au sommet de cette hiérarchie végétale se situent les fruits, car ils sont loin du sol donc jugés nourriture noble. La belle-sœur du Roi, d'origine allemande, regrettait l'absence de chou à la table de Versailles "Une soupe aux choux et au lard fait bien mieux mon affaire que toutes les délicatesses dont on raffole ici". Le chou occupe à l'époque plus d'un tiers du potager. Il est la base de la nourriture du peuple, la pomme de terre ne sera consommée qu'un siècle plus tard. On le met au pot pour en faire une soupe que l'on mange à tous les repas, y compris le matin, avec une bouillie de céréales ou du pain grossier. La viande est rare, peut-être quelques lapins braconnés, mais la sanction est lourde, car le gibier est strictement réservé au seigneur. Les organismes étaient carencés, fragilisés et le corps soumis à de durs travaux, ce qui rendait l’espérance de vie assez courte. Les bourgeois, comme notre famille La Fontaine, devaient consommer du chou de temps en temps mais agrémenté de quelques bons morceaux. Jean de La Fontaine qui s’intéresse aux gens de toutes sortes et en même temps à la nature nous conte dans la fable Le Jardinier et son Seigneur les mésaventures d'un maraîcher qui fait appel à son châtelain pour le débarrasser d'un lièvre qui grignote ses plantations. Voici la description qu'il en fait, prouvant si besoin en était qu'il est un familier de ces sortes de jardins : "Là croissait à plaisir l'oseille et la laitue,/ De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet; /Peu de jasmin d'Espagne et force serpolet." Mais le potager est mis à sac par la troupe à cheval du seigneur "Le pis fut que l'on mit en piteux équipage/Le pauvre potager : adieu planches, carreaux;/Adieu chicorée et porreaux;/Adieu de quoi mettre au potage./ Le Lièvre était gîté dessous un maître chou." Il ne fut d'ailleurs pas attrapé..."Et les chiens et les Gens/Firent plus de dégâts en une heure de temps/Que n'aurait fait en cent ans/Tous les lièvres de la Province." Dans le conte Le Diable de Papefiguière, La Fontaine nous décrit le travail des paysans qui plantent et récoltent les céréales et les racines potagères. Arrive un diable de peu d’expérience et très naïf puisque nous dit La Fontaine, "Il n'avait encor tonné que sur les choux". Il tient ce discours au paysan : "Vilain : Travailler est le fait de la canaille.[...] Je t'ai déjà dit que j'étais Gentilhomme,/ Né pour chômer, et pour ne rien savoir." Quelle impertinence de la part de notre écrivain, qui par l'intermédiaire d'un diable ridicule, critique ouvertement les gens de la noblesse !

Mais si les classes nobles dédaignaient de manger du chou, elles s'en servaient volontiers pour se soigner. Quel meilleur remède après un banquet trop arrosé et donc un bon mal de crâne que de s'emballer entièrement la tête dans des feuilles de choux cuites ! C'était aussi une excellente médication pour prévenir de la calvitie. Les personnes à poitrine délicate s'en trouvaient parait-il beaucoup mieux après avoir consommé quelques litres de son jus.

Les mots dérivés utilisant le mot chou sont nombreux à être utilisés encore aujourd’hui : mon petit chou, mon petit trognon, chouchouter, choubidou bidou wa!

Des expressions perdurent depuis le XVIIe siècle : Faire ses choux gras, Sauver la chèvre et le chou ou On l'a envoyé planter des choux. D'autres ont disparu comme l'expression pour désigner les envieux : "Il est comme le chien du jardinier : il ne mange pas de chou et ne veut pas qu'un autre en mange." Dans la fable L'Homme qui court après la fortune et l'Homme qui l'attend dans son lit, La Fontaine nous parle d'un homme qui était planteur de choux et qui grâce à la Fortune, devient Pape. Mais le fabuliste nous donne un conseil qui lui ressemble : "Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,/Le repos, le repos, trésor si précieux".

Quant à l'expression naître dans un chou, ou une rose, elle ne semble dater que du XIXe siècle. Invention bien commode des parents pour répondre aux questions embarrassantes des jeunes enfants.

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