07 FÉVR.
2023

La Conversation ou l'art de plaire

Jean de La Fontaine, chaque fois qu’il venait à Paris puis lorsqu’il décida de s’y installer définitivement, fréquentait des sociétés de beaux esprits, les élites de son époque.

Plonger dans cette société aujourd’hui disparue nous aide à mieux comprendre les goûts et les sources d’inspiration du poète.

Dans ces sociétés ou cercles (salon est un terme qui apparaîtra plus tard à la fin du 18e siècle), on discute et échange sur tous les sujets à la mode entre personnes de qualité. En effet, la conversation qui est le plus élégant des passe-temps répond à des règles bien précises de retenue et de courtoisie.

Ces règles étaient suivies par celui qui parlait et plus encore par ceux qui écoutaient. Il fallait que la conversation soit à la fois une source de plaisir et en même temps un délicieux délassement quel que soit le sujet choisi. Pour plaire à son auditoire il y avait obligation d’utiliser les qualités de l’honnête homme : il fallait avoir de l’esprit, de la galanterie, être infiniment poli, enjoué, complaisant et savoir manier la flatterie avec art. La Fontaine n’est pas loin, n’est-ce pas ! « On ne pardonne si aisément qu’une flatterie dite de bonne grâce »dira Mlle de Scudéry. La raillerie, l’ironie aimable sont aussi utilisées mais à condition de faire d’abord sourire celui qui en est l’objet. Vous comprendrez que seul un véritable homme du monde peut posséder ce talent ! Le poète Voiture avait l’art de tourner agréablement en jeu les entretiens les plus sérieux et il était passé maître en l’art de la belle raillerie.

Mais de quoi parlait-on de si jolie manière ? On ne parlait pas en tout cas de sujets aussi triviaux que les affaires domestiques, on évitait les sujets dangereux comme la religion et la politique, apanage exclusif du roi. Restait alors tout ce qui faisait le quotidien de ces oisifs : une petite histoire, un commérage même, une scène de chasse, un spectacle, une fête, un roman, un écrivain, une morale ….On retrouve tout cet esprit enjoué dans les fables mais aussi dans la correspondance de Madame de Sévigné lorsqu’elle relate à sa fille Madame de Grignan les menus faits de Paris et de Versailles. Parlant de La Fontaine à plusieurs reprises, elle ne tarit pas d’éloges sur son art poétique : « cela est peint ! » ou « Elles[les fables] sont divines ».

Ces cercles élégants étaient surtout dirigés par des femmes. Le premier fut celui de Catherine de Rambouillet surnommée Arthénice par ses admirateurs parmi lesquels se pressaient Malherbe, Corneille, La Rochefoucauld, Mme de Sévigné, Mme de La Fayette …Cette dame recevait dans sa fameuse « Chambre Bleue » car elle était de santé fragile et désirait s’écarter de Versailles. C’est ainsi qu’à Paris, vont éclore de nombreux lieux élégants loin de l’étiquette stricte de la cour. Madeleine de Scudéry recevait, tous les samedis chez elle, les plus grands talents de la littérature. Ils furent influencés et modelés par l’esprit qui régnait dans ces cercles. Si sa préciosité fut moquée par certains, elle tenait pourtant davantage de la modernité et du féminisme que de la pédanterie. Elle écrivit et publia entre autre « De l’air galant et autres conversations » dont Furetière fit l’éloge dans son dictionnaire : « Les conversations des savants instruisent beaucoup, celles des dames polissent la jeunesse ». Et donc, Mme de Sévigné recommandait à Mme de Grignan de trouver un peu de temps pour converser avec sa fille de quinze ans « un enseignement plus utile que toute lecture ».

Si la conversation forme l’esprit, elle forme aussi le goût et la pluralité des sujets en fait un bagage nécessaire pour vivre en belle société. On y apprend les beautés de la langue, l’harmonie, l’élégance et la mesure que l’on retrouve de manière charmante dans les vers de La Fontaine.

[…]L’amour avait raison ; de quoi ne vient à bout L’esprit joint au désir de plaire ? Livre XI Fable 2 .

Je citerai seulement le salon de la courtisane raffinée Ninon de Lenclos et celui de Scarron si bien mis en valeur par l’esprit brillant de son épouse Françoise d’Aubigné (future Mme de Maintenon) aux temps où d’autres passions que celle de Dieu l’animaient.

Venons-en au cercle cher entre tous à La Fontaine, celui de Mme de La Sablière : Marguerite Hessein fut un des ornements du 17e siècle : élevée dans une famille protestante et fort riche, elle épousa Antoine de La Sablière, homme cultivé, plein d’esprit, auteur de madrigaux. Elle qui n’aimait rien tant que la poésie semblait devoir former un couple harmonieux avec son mari. Il n’en fut rien hélas, au point que, lassée des mauvais traitements, elle demanda la séparation. Cela lui permit de vivre ses meilleures années, entourée d’amis et de savants que sa curiosité, son désir d’apprendre poussaient à recevoir. C’était la première fois qu’un cercle comptait une société aussi composite : les écrivains bien sûr (dont La Fontaine qu’elle logea pendant vingt ans chez elle) mais également des philosophes et des hommes de science. Elle apprit les mathématiques, la géométrie, l’astronomie, l’anatomie avec les meilleurs maîtres, elle connaissait plusieurs langues dont le grec ancien …Et tout cela avec une modestie, une douceur qui faisaient l’admiration de ses hôtes et de La Fontaine plus que tous. Dans son discours à Mme de La Sablière, il propose la marquise comme le modèle même de la conversation à la fois plaisante, légère et profonde, intellectuelle et infiniment variée : «  […]parterre, où Flore étend ses biens ; / Sur différentes La bagatelle, la science, / Les chimères, le rien, tout est bon. Je soutiens / Qu’il faut de tout aux entretiens : / C’est un fleurs l’abeille s’y repose, / Et fait du miel de toutes choses. »

Par l’intermédiaire de ce cercle savant et raffiné, La Fontaine côtoie l’élite de Paris et parmi ces habitués, un philosophe, voyageur et médecin nommé François Bernier. Il joua un rôle capital pour La Fontaine car il lui fit connaître le Panchatantra du sage indien Pilpay qui lui servit d’inspiration pour écrire beaucoup de ses fables dans la dernière partie de sa vie. La fable  Le corbeau, la gazelle, la tortue et le rat  inspirée de Pilpay est dédiée à sa protectrice […] « Avec ses traits, son souris, ses appas, /Son art de plaire et de n’y penser pas,/Ses agréments à qui tout rend hommage ». C’est une fable sur l’amitié- puisque Mme de La Sablière lui avait interdit tout autre sentiment- et l’on peut supposer que la brave tortue de la fable est La Fontaine lui-même.

Mais dans ce siècle, une femme cultivée, férue de sciences fait une proie facile pour la satire, la misogynie traditionnelle. Charles Perrault dut prendre sa défense devant l’attaque déplaisante d’un Boileau vexé d’avoir été pris par Mme de La Sablière en flagrant délit d’ignorance.

Ce même Boileau avait pourtant participé à une réunion avec Ninon de Lenclos, Marguerite de La Sablière et Molière au cours de laquelle ils élaborèrent le latin macaronique, autrement dit le latin de cuisine, qui devait servir à Molière pour sa pièce «  Le malade imaginaire » où Argan reçoit le titre de docteur lors d’une cérémonie burlesque. Voilà une femme « savante » qui ne manque pas d’humour !

Fidèle jusqu’à sa mort à La Fontaine, elle disparaîtra deux ans avant lui, s’étant retirée du monde pour se consacrer aux mourants et à Dieu: « Après m’être trop montrée, il faut me cacher et après avoir trop parlé, il faut me taire. »

La Fontaine lui doit certainement de s’être tourné aussi vers Dieu à la fin de sa vie. Le 18e siècle rendra souvent hommage à Mme de La Sablière car sa société d’amis deviendra le modèle du salon idéal du siècle des lumières. Citons Marc Fumaroli « S’étonner, éprouver, voir le réel dans sa diversité surprenante étaient les dons communs à cette femme supérieure et au poète des fables ». Du souci qu’avait la noblesse de se divertir de manière raffinée est né l’art de la conversation avec son badinage, son tour galant, ses anecdotes piquantes et son esprit qui ont influencé la littérature et que nous retrouvons si exactement dans l’œuvre de La Fontaine. Séduire, enchanter, divertir et plaire surtout, tout en gardant un esprit de réflexion aiguisé, font tout l’art de la conversation du 17e siècle. « Ce n’est ni le vrai, ni le vraisemblable qui font la beauté et la grâce de ces choses-ci ; c’est seulement la manière de les conter."(La Fontaine, préface de la 1ere partie des contes et nouvelles)

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