14 JANV.
2023

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN OU COMMENT JEAN DE LA FONTAINE PUT ADOUCIR L’ÉDUCATION D'UN PRINCE.

Le Dauphin naquit en 1661 alors que son père Louis XIV n'avait que vingt-trois ans. Le pays était en liesse et de toutes les fontaines du royaume coulait du vin à flot.

La Fontaine, alors pensionné par Fouquet, écrivit une épître pour fêter l'événement alors que la reine n'avait même pas encore accouché : "Quant à moi sans être devin/J'ose gager que d'un Dauphin/Nous verrons dans peu la naissance.//De sa mère il tiendra la douceur et les charmes/Et de son père l'art de dompter par les armes/Ceux qui résisteront à toutes ses bontés."

Il était d'usage que les enfants de haut rang soient d'abord élevés dans un milieu féminin jusqu'à l'âge de sept ans. Ensuite Louis XIV nomma monsieur de Montausier gouverneur du Dauphin. C'était un homme très dur, sans indulgence ni patience et qui ne se privait pas de corriger impitoyablement son élève lorsqu'il faisait la moindre faute. Cela détruisit probablement toute force de caractère du Dauphin qui vivait dans la crainte perpétuelle des coups, cela le rendant même apathique.

Louis XIV ayant grandi pendant la Fronde, son éducation avait été très chaotique, il désirait donc pour son fils un savoir savant et moderne. Comme tout gentilhomme de qualité, le Dauphin devait apprendre à monter à cheval, danser, jouer de la musique, dessiner. Il apprit aussi l'histoire de France, l'astronomie, la géographie dans un salon entièrement orné de cartes. Une initiation à l'art militaire avec des petits soldats en argent massif puis un peu plus tard de vrais soldats, ce qui donna lieu à de nombreux morts... Vauban lui construisit une petite machine militaire et son professeur de mathématiques lui apprit l'art de fortifier des places et celui de jeter des bombes. Un ingénieur l'initia à l'art de l'alimentation des fontaines de Versailles. Son père entreprit de dicter, dès la naissance de son héritier, ses Mémoires pour le former à l'art de gouverner. Nul besoin d'apprendre les langues étrangères car le français était devenu la langue de toutes les diplomaties d'Europe grâce aux guerres de conquêtes. Bossuet qui devint son précepteur pendant de longues années le forma brillamment à devenir un gentilhomme chrétien parfaitement instruit de la puissance et de la faiblesse de l’État. Dans l'éducation de l'époque, les fables tenaient une grande place. On utilisait les fables d’Ésope pour apprendre le latin et étudier la morale. C'est alors qu'en 1668, Jean de La Fontaine offrit son premier ouvrage de fables au Dauphin âgé de sept ans. Il venait de faire paraître avec le privilège du Roi "Les Fables choisies mises en vers" ornées par le dessinateur François Chauveau. Le poète avait reçu l'autorisation royale de dédicacer son livre au Dauphin. Il l'a certainement obtenue par l'intermédiaire du Duc de Bouillon, Grand Chambellan de France. La Fontaine apporta lui-même un luxueux exemplaire relié aux armes du Dauphin à Saint Germain en Laye où résidait la cour. Il reçut pour cela une bourse remise par le Roi de mille pistoles. C'était une véritable petite fortune et d'ailleurs quand quelques années plus tard il vendit ses charges de Maître des Eaux et Forêts cela lui rapporta la même somme. Dans son épître dédicatoire, il précise au sujet de son ouvrage: "Il fait en sorte que vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache." Dans les jardins de Versailles, un labyrinthe imaginé par Perrault et mis en verdure par Le Nôtre avait été construit pour le Dauphin. Une statue d'Ésope en marquait l'entrée et au gré de la promenade on rencontrait trente-neuf fontaines différentes ornées de statues représentant les personnages des fables d’Ésope.

Les cahiers d'écolier du Dauphin sont parvenus jusqu'à nous, ce qui a permis d'en faire une analyse ayant pour constat que celui-ci était atteint de dyslexie et de dysorthographie. Cela explique certainement pourquoi il inspirait des jugements contrastés portés par son entourage : certains vantant son intelligence, les autres soulignant sa stupidité.

Monseigneur resta Dauphin durant les cinquante années que dura sa vie. Jamais il ne contredit son père à qui il témoignait une vive admiration. Louis XIV était lui aussi très attaché à son fils avec lequel il partageait la passion de la chasse, de l'équitation, le sens de la guerre et une grande bienveillance pour la famille. Plus tard, le Dauphin fut le père de trois garçons qui tout comme lui ne régneront pas sur la France, mais son cadet devint roi d'Espagne sous le nom de Philippe V. "Fils de roi, père de roi, jamais roi" selon les mots de Voltaire.

Les fables auront été, on peut l'espérer, une parenthèse enchantée dans l'éducation du Dauphin. La Fontaine dans sa préface s'adresse directement à lui : "Illustre Rejeton d'un Prince aimé des Cieux/Je vais t'entretenir de moindres Aventures, /Te tracer en ces vers de légères peintures." Il continue son badinage, mettant en avant son goût pour la légèreté, l'enchantement des mots. "On veut de la nouveauté et de la gaîté. Je n'appelle pas gaîté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable, qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux."

Monsieur de Montausier interdira au Dauphin de lire les préfaces de l'ouvrage jugeant les hommages trop dithyrambiques.

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